L’astrologie française a perdu l’un de ses plus grands penseurs le 21 octobre 2022 avec la disparition de Jean-Pierre Nicola. Sa mort a laissé un vide au sein de la communauté conditionaliste, mais son héritage est immense et continue d’inspirer. Plus qu’un simple théoricien, Nicola a été un architecte, cherchant inlassablement à bâtir un pont entre la tradition symbolique et les exigences scientifiques de notre temps. Son œuvre majeure, l’Astrologie Conditionaliste, est née d’une volonté profonde de réconcilier l’esprit et la matière, de donner à l’astrologie une cohérence et une densité qui, à ses yeux, lui faisaient cruellement défaut.
Cet entretien avec Jean-Pierre Nicola, réalisé en février 2015, est une synthèse de nos échanges à l’occasion du 50ème anniversaire de son ouvrage La Condition solaire et de la sortie d’Opéra conditionaliste, le Ballet des coïncidences. L’entretien complet a été publié sur www.astrologie-moderne.eu.

Jean-Pierre Nicola et Ophélie
La théorie des âges : un nouveau regard sur le destin humain
Dans cet entretien, Jean-Pierre Nicola aborde d’emblée la théorie des âges, un des joyaux de son système, qu’il considérait comme une preuve solide et exempte de statistiques de l’adaptation de l’être humain aux cycles majeurs du système solaire. Il en explique le principe avec une clarté désarmante.
La formule fondamentale
La clé de cette théorie repose sur une formule mathématique simple mais révolutionnaire : le thème d’âge est le résultat de la soustraction du thème natal (positions planétaires à la naissance) au thème céleste (positions planétaires au moment où l’on étudie l’âge).
Thème d’âge = Thème céleste – Thème natal
- Le calcul : On calcule la différence angulaire, de 0° à 360°, entre les positions de chaque planète à la naissance et à un moment donné. On ne retient que la partie fractionnaire de cette différence, ignorant les tours complets déjà effectués. Nicola comparait cela à une horloge : « on efface les heures, on garde les minutes. »
- L’interprétation : Ce thème d’âge révèle quels cycles planétaires sont actifs et comment ils se combinent avec la structure natale. Par exemple, une planète de retour à sa position natale (sa révolution sidérale) se placera à 0° du thème d’âge, marquant la fin d’un cycle et le début d’un nouveau. Son demi-cycle se situera à 180°, etc.
Le temps et la conscience de soi
La théorie des âges n’est pas une simple curiosité mathématique. Elle est le reflet d’une évolution de la conscience. Les planètes lentes, comme Uranus (cycle de 84 ans) et Neptune (165 ans), prennent une importance grandissante à mesure que la vie avance.
À 86 ans, Jean-Pierre Nicola l’illustrait par son propre cas. Né avec Neptune au Fond-du-Ciel, il a vécu un demi-cycle (environ 82 ans) qui a vu cette planète transiter le Milieu-du-Ciel, c’est-à-dire le point culminant de sa course. Ce renversement d’axe ne peut être saisi par une astrologie symbolique, mais il prend tout son sens dans une approche conditionaliste. Il ne s’agit plus de l’extraversion, de la compétition ou du « paraître », mais d’une introspection. La question n’est plus « qu’ai-je à accomplir dans le monde ? », mais « qu’ai-je fait de ma vie ? ». L’horizon se rétrécit, et le regard se tourne vers l’héritage, la transmission.
Le parcours d’un précurseur : de la rupture à la fondation
Jean-Pierre Nicola s’est toujours vu comme un chercheur marginal. Il a compris très tôt que l’astrologie, pour être prise au sérieux, ne pouvait se contenter d’une simple validation empirique. Elle devait s’appuyer sur une explication naturelle, cohérente et recevable. Cette conviction a été la source de sa rupture avec le milieu astrologique de l’époque.
La Condition solaire et le divorce avec la tradition
La parution de son livre La Condition solaire en 1964, fruit de cinq années de travail, fut un véritable tremblement de terre. Loin de rassembler les astrologues, cet ouvrage a provoqué une fracture irréconciliable avec l’ex-Centre International d’Astrologie. Les critiques fusèrent : le zodiaque photopériodique était qualifié de « vue de l’esprit », et l’approche, de « replâtrage de façade ». En réponse, les partisans de Nicola se regroupèrent pour fonder le COMAC, le Centre d’Organisation Méthodologique pour l’Astrologie Conditionaliste, aussitôt étiqueté de « chapelle sans avenir » par les détracteurs.
Une astrologie « remise sur pied »
Nicola a toujours revendiqué le fait d’avoir remis l’astrologie « sur pied » en la reconnectant avec ses racines astronomiques et sa base terrestre. Il a élargi son horizon, l’ouvrant à la gravité, à l’influence de toutes les planètes et aux savoirs scientifiques contemporains. Pour lui, l’astrologie devait s’affranchir de son enfermement dans un référentiel exclusif pour embrasser la complexité du monde, de la physique à la neurobiologie.
Une culture astrologique à contre-courant : le symbolisme face au réel
L’Astrologie Conditionaliste dérange. Elle est à l’opposé des astrologies de l’immédiateté et des « recettes » simplistes. Nicola y voyait un « marécage », un paysage romanesque où le langage traditionnel s’était déconnecté de la réalité.
Le symbolisme, un langage d’enfance
Nicola ne rejetait pas le symbolisme en bloc. Il le reconnaissait comme le langage de l’enfance, précieux pour sa richesse et sa puissance évocatrice. Mais il estimait qu’il fallait le dépasser, sans la rejeter pour autant, pour atteindre une maturité intellectuelle. L’astrologie, selon lui, n’a pas progressé car ses défenseurs, par intérêt ou par manque de courage, ont cherché à la maintenir dans une enfance éternelle, avec un vocabulaire désuet qui ne communique plus avec les autres disciplines.
La critique des qualités élémentaires
Il dénonçait les correspondances analogiques traditionnelles qui peinent à convaincre un esprit rationnel. Faut-il croire que l’astre Jupiter est « chaud et humide » ou que l’agressivité de Mars est due à ses qualités de « chaud et sec » ? Nicola montrait que ces explications simplistes sont inefficaces pour comprendre les crises mondiales. Il citait l’exemple de l’été 2014, marqué par les guerres en Ukraine, sous les conjonctions du Soleil, de Jupiter et de Vénus. Les astrologues traditionnels interprétaient ces conjonctions « bénéfiques » comme une période de paix, se heurtant à une réalité brutale. L’approche conditionaliste, avec ses formules rationnelles et ses référentiels, permet une analyse plus fine et plus réaliste des événements.
La pédagogie conditionaliste : une méthode de formation rigoureuse
Jean-Pierre Nicola a toujours été soucieux de la transmission de son savoir. Il a développé une méthode d’apprentissage progressive, conçue pour former des astrologues capables de penser par eux-mêmes.
L’écriture de fiches et la codification des textes
Le premier exercice est d’apprendre à coder des textes. L’élève lit des biographies, des portraits littéraires ou même des fiches de caractères, puis les traduit en formules conditionalistes. Il s’agit d’extraire les éléments essentiels pour comprendre la personnalité d’un individu. Cette méthode permet de saisir les contradictions d’un caractère et d’apprendre à les interpréter. Nicola recommandait des ouvrages de caractérologie classique, comme le Traité du caractère d’Emmanuel Mounier ou le Que sais-je ? de Guy Palmade, qui servaient de matière première à cette codification.
L’assemblage des formules et les référentiels
L’élève apprend ensuite à combiner ces formules pour comprendre les référentiels d’une personne :
- Sujet (son monde intérieur, son travail sur soi)
- Objet (son rapport au monde extérieur, son action)
- Relation (ses engagements sociaux, professionnels)
- Intégration (son dépassement de soi, sa sublimation)
Ces référentiels deviennent les interfaces entre l’individu et son environnement. Le but est de trouver sur quel plan la personne peut résoudre ses contradictions ou les assumer.
L’étude des thèmes et la confrontation des données
L’étape finale consiste à confronter les formules tirées des textes avec les formules déduites du thème de naissance. Ce travail de vérification et d’analyse comparative est le cœur de la méthode. Nicola organisait des stages où les participants analysaient leurs propres thèmes pour mettre en pratique cette approche. Il encourageait également l’étude de thèmes de figures publiques, des personnages de Molière à La Bruyère, pour rendre l’exercice vivant et divertissant.
L’héritage d’un visionnaire : pour une astrologie de l’avenir
Jean-Pierre Nicola n’a jamais cherché la reconnaissance pour son seul nom, mais pour son œuvre. Il se demandait si son héritage serait enterré avec lui ou s’il serait pérennisé. Il était conscient de la fragilité d’une nouvelle approche face à la puissante culture astrologique dominante.
Une astrologie mondiale repensée
Il a montré la nécessité d’une astrologie mondiale fondée sur la rigueur plutôt que sur l’empirisme. Il dénonçait les interprétations simplistes des aspects planétaires. Faut-il voir dans la dissonance (2009-2016) entre Uranus en Bélier et Pluton en Capricorne un simple conflit entre « le dieu du ciel » et « le maître des enfers » ? Non, il y a, selon lui, une interprétation bien plus riche et plus fine à trouver grâce au R.E.T, l’outil de base de l’astrologie conditionaliste.
- « Opposition de l’unique au multiple » : C’est le cœur du conflit. L’« unique » (Uranus, l’individu, la singularité) se heurte au « multiple » (Pluton, les masses, le collectif). Ce conflit est décrit comme une lutte où les singularités se rebellent contre les normes de la majorité.
- « L’impuissance des décideurs » : Les autorités en place (« décideurs du niveau ‘r’ intensif ») sont incapables de gérer et d’unifier les forces du « multiple » (les masses). Le pouvoir traditionnel échoue à canaliser les revendications et les énergies individuelles de la population.
- « Difficulté à régenter les singularités rebelles aux normes réductrices » : En écho à la thématique uranienne, les individus ou groupes qui rejettent les règles établies (« normes réductrices ») deviennent une source de friction. Les solutions autoritaires ou drastiques ne fonctionnent pas et ne font qu’aggraver la situation.
- Fracture sociale et division : Les « échecs des solutions drastiques » entraînent un « fossé » qui s’élargit entre les classes sociales. La communication est rompue, voire manipulée par des « organes de désinformation » (une thématique plutonienne). La confiance et le dialogue s’effondrent.
- « Querelles dans les grandes familles idéologiques » : La discorde ne touche pas seulement la société dans son ensemble, mais aussi les grands courants de pensée ou les partis politiques. Les idéologies elles-mêmes se fragmentent, créant des conflits internes.
En résumé, le conflit Uranus-Pluton (entre l’unique et le multiple) serait propice à une ère de troubles profonds où la soif de liberté et d’individualité (Uranus) des masses entre en collision avec les structures de pouvoir établies (Pluton), menant à la division, au chaos social et à l’échec des solutions traditionnelles.
L’héritage vivant
Les héritiers de Nicola disposent aujourd’hui d’une immense documentation : de nombreuses publications déposées à la Bibliothèque Nationale de France, des articles, des archives et une communauté en ligne grandissante. L’Astrologie Conditionaliste n’est plus une simple « chapelle » mais un véritable courant de pensée qui continue d’attirer des élèves à la recherche d’une approche rigoureuse et réaliste.
Jean-Pierre Nicola a ouvert une voie, tracé un chemin. Son œuvre est un appel à la raison, à la curiosité et à l’ouverture d’esprit. Son héritage est un rappel constant que l’astrologie, pour survivre et se développer, doit rester connectée au réel et dialoguer avec les savoirs de son temps. C’est à ses continuateurs de faire vivre cette promesse.
Patrick Legwen-Phal (enseignant en astrologie conditionaliste et auteur du logiciel Azimut35), août 2025